Baudelaire et le Symbolisme : "L'Albatros"

Lire : Le Symbolisme (p. 351)

Baudelaire, Mallarmé et Verlaine s'éloignent progressivement du Parnasse et inventent un nouveau lyrisme.

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Lire et relire "Correspondances"


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"L'Albatros", Baudelaire (poème à forme fixe proche du sonnet)

Texte 4 : Charles Baudelaire, « L’Albatros », Les Fleurs du mal , 1857.


Souvent pour s’amuser, les hommes d’équipage

Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,

Qui suivent, indolents compagnons de voyage,

Le navire glissant sur les gouffres amers.


A peine les ont-ils déposés sur les planches,

Que ces rois de l’azur, maladroits et honteux,

Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches

Comme des avirons traîner à côté d’eux.


Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !

Lui, naguère si beau, qu’il est comique et laid !

L’un agace son bec avec un brûle-gueule,

L’autre mime, en boitant, l’infirme qui volait !


Le poète est semblable au prince des nuées

Qui hante la tempête et se rit de l’archer ;

Exilé sur le sol au milieu des huées,

Ses ailes de géant l’empêchent de marcher.




« L’Albatros »
de Baudelaire se présente sous la forme d’une narration à la troisième personne comme le dernier sonnet du corpus, « Le Dormeur du val » de Rimbaud. La mise scène de ce qui ne semble être au début qu’un récit pittoresque de voyage sert en fait de point de départ et de tremplin à une comparaison explicite dans le dernier quatrain : « Le poète est semblable».

« Spleen et Idéal »
: en exil sur la terre, le poète se sent seul et incompris. Il exprime la révolte orgueilleuse de l’artiste par de nombreuses périphrases laudatives qui ne prennent tout leur sens qu’à partir de la comparaison du dernier quatrain où il explicite les métaphores filées de l’oiseau déchu de sa position dominante : « ce roi de l’azur », « Ce voyageur ailé », « prince des nuées ».

Exposé aux moqueries cruelles du « vulgaire », il est rendu vulnérable par les attributs qui lui permettaient l’envol : l’envergure de l’oiseau est soulignée par les enjambements de chaque quatrain composé d’une seule phrase et l’anacoluthe finale qui mime également sa déchéance et son infirmité sur la « scène » du navire par l’harmonie imitative de ce déséquilibre syntaxique :

« Exilé sur le sol au milieu des huées,

Ses ailes de géant l’empêchent de marcher. »

L’albatros, grâce à la double thématique de ce poème à forme fixe proche du sonnet, devient le symbole de la condition du poète.


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POESIE et DECHIFFREMENT DU MONDE : ART et ENGAGEMENT

Lire : Le Symbolisme (p. 351)

Baudelaire, Mallarmé et Verlaine s'éloignent progressivement du Parnasse et inventent un nouveau lyrisme.


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"Correspondances", Baudelaire


La Nature est un temple où de vivants piliers

Laissent parfois sortir de confuses paroles ;

L'homme y passe à travers des forêts de symboles

Qui l'observent avec des regards familiers.


Comme de longs échos qui de loin se confondent

Dans une ténébreuse et profonde unité,

Vaste comme la nuit et comme la clarté,

Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.


Il est des parfums frais comme des chairs d'enfants,

Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,

-- Et d'autres, corrompus, riches et triomphants,


Ayant l'expansion des choses infinies,

Comme l'ambre, le musc, le benjoin et l'encens,

Qui chantent les transports de l'esprit et des sens.


Baudelaire, Les Fleurs du mal, (1957)


« Correspondances », Baudelaire , Les Fleurs du mal, « Spleen et Idéal », 1857

(Hatier 1ère, p. 212, Nathan 2de, p. 41)

« Le Confiteor de l’Artiste », Baudelaire, Petits poèmes en prose (Le Spleen de Paris), 1862 (Hatier, p. 194)


Lecture intégrale : « Spleen et Idéal », Les Fleurs du mal, 1857-1862-1868 (Hatier, p. 365)


Le sonnet « Correspondances », au début des Fleurs du mal, est le type même du texte qui ouvre un « courant » , qu’on appellera plus tard le symbolisme*, sans pour autant donner naissance à un groupe puisque l’ « école » du même nom ne verra le jour que dans les années 1880. L’importance de ce poème tient au programme poétique nouveau qu’il énonce dès 1857 : le travail du poète est d’exprimer, grâce à ses images et à ses symboles, les « correspondances » sensorielles ou spirituelles qui peuvent redonner un sens à notre monde moderne si « confus ». [* Symbolisme : Nathan 2de, p. 43]

Cf. lettre de Baudelaire à Arsène Houssaye : influence d’Aloysius Bertrand (Hatier 1ère p. 196)

Le rôle du poète chez Victor Hugo, et encore chez Baudelaire, est d’être réceptacle du divin, de recueillir, de saisir intuitivement les mystérieuses correspondances entre le temporel et l’éternel, le fini et l’infini, le « Ciel » et la « Terre », d’écouter ce que Dieu, à travers par exemple le « Beau » et la « Nature », dit à l’homme ici-bas dans une système de correspondances verticales : « La Nature est un temple où de vivants piliers / Laissent parfois sortir de confuses paroles ; ».

"Victor Hugo a su exprimer par la poésie le mystère de la vie", Baudelaire

Toutefois, le symbolisme de Baudelaire remet en cause les notions de « Bien » et de « Beau » (cf. La Charogne »), ouvrant par là la voie à la modernité avec une poésie plus trouble, celle des « fleurs du mal » : le poète redéfinit « L’Idéal », son « idéal » où les aspirations élevées se mêlent à des considérations plus sensibles, plus subversives, un « idéal » plus complexe que celui qui invite à s’élever vers des principes supérieurs. Moins manichéen que celui de Victor Hugo, le symbolisme de Baudelaire est aussi une « poésie du mal » inspirée par le « spleen ». Le poète révolté, « maudit », est en proie à la double postulation, Dieu et Satan, le « spleen » et l’ « idéal ». L’ « idéal » baudelairien peut être celui qui correspond à une vision métaphysique avec les « vivants piliers » des « forêts de symboles » d’une « Nature » comparée à un « temple » (« est ») dans un système de correspondance verticale établi à partir de symboles qui permettent à Dieu de communiquer avec les hommes, le poète étant chargé d’interpréter les signes (« Tout est signe et tout signe est message », Proust) comme l’explique Victor Hugo dans « Fonction du poète ». Mais les « correspondances » de Baudelaire sont aussi horizontales (d’où le pluriel du titre de « Correspondances »), ainsi que le souligne la construction du sonnet avec le deuxième mouvement à partir de vers 8. L’aspiration vers l’« Idéal » imprégné de religion et d’idéaux élevés des poèmes plus désincarnés du début de la section « Spleen et Idéal » cède de plus en plus la place à une poésie du sensible, de la sensualité avec une « Nature » personnifiée (« le langage des fleurs et des choses muettes », « Elévation ») qui se fait moins réceptacle du sacré et interprète du divin qu’il y paraît dans un renversement fantastique annonciateur des Illuminations de Rimbaud (« Une fleur qui me dit son nom », « Aube ») : « L’homme y passe à travers des forêts de symboles / Qui l’observent avec des regards familiers. » Le symbolisme de Baudelaire est donc spirituel (métaphysique) et sensible, sensuel, partagé entre l’éblouissement de certaines évocations et l’amertume du retour au réel. Les « synesthésies » baudelairiennes établissent des correspondances verticales et horizontales, entre les différents sens : « Les parfums, les couleurs et les sons se répondent » dans « une ténébreuse et profonde unité ».

La poésie tourmentée de Baudelaire est surtout celle d’un poète en souffrance et en révolte , partagé entre les images de « gouffres » et d’ « abîmes » et l’aspiration vers ce qui lui permet à l’âme de s’élever, Dieu et Satan. Même si c’est un dieu terrible, Chronos (dans la mythologie grecque, le dieu cruel du Temps dévore ses propres enfants), qui a le dernier mot dans le dernier poème de la section « Spleen et Idéal » des Fleurs de mal avec le poème de « L’Horloge », la poésie de Baudelaire reste, comme celle de Victor Hugo incantation, chant sacré d’un « voyant » messager du divin, d’un démiurge déchiffreur du monde chargé d’établir un lien entre le Ciel et la Terre selon la tradition orphique : « Ecoutez le rêveur sacré », enjoint Victor Hugo.


« C’est cet admirable, cet immortel instinct du Beau qui nous fait considérer la Terre et ses spectacles comme un aperçu, comme une correspondance du Ciel. La soif insatiable de tout de qui est au-delà, et que révèle la vie, est la preuve la plus évidente de notre immortalité. C’est à la fin par la poésie et à travers la musique que l’âme entrevoit les splendeurs situées derrière le tombeau. » Baudelaire, Notes nouvelles sur Edgar Poe.

Le Symbolisme de Rimbaud (dans Une saison en enfer, « Alchimie du verbe », p. 213 ; les poèmes en prose des Illuminations, « Aube », p. 214) et de Stéphane Mallarmé (« Les mots s’allument de reflets réciproques », cf. p. 215) devient de plus en plus « sorcellerie évocatoire », le poète se fait « voleur de feu », « broyeur de poison » ; « alchimiste du verbe » selon les expression de Rimbaud, sans arrière-plan religieux. L’aspiration vers le haut, ce qui dépasse l’homme et le pousse à s’élever dans un élan d’enthousiasme poétique prométhéen (étincelle divine : l’enthousiasme n’est-il pas « avoir un dieu en soi » suivant son étymologie : « theos », dieu ?; « étincelle motrice et joyeuse », pour Proust), s’il ne se réfère plus explicitement comme chez Victor Hugo (qui était croyant) ou Baudelaire (marqué par son éducation chrétienne), à la religion et à un Dieu particulier, demeure tension vers le sacré, le « mystère » de la vie, dans une œuvre qui reste pour Mallarmé « musicienne du silence ». C’est peut-être pourquoi « les mots se lèvent avant leurs sens » pour René Char, chargés des mystères (divins ?) dont seul Orphée, le « rêveur sacré » a le secret…

(cf. Cocteau et l’importance du rêve et de l’inconscient pour les poètes surréalistes ; Jean-Baptiste Pontalis, Le Dormeur éveillé).

« J’ai seul la clé de cette parade sauvage », « Parade », Illuminations, Rimbaud (« Je suis maître du silence »).

Même si « on construit un poème comme une machine » déclare Edgar Poe, traduit par Baudelaire, la poésie garde son mystère (« Silence de l’œuvre qui parle, parole de l’homme qui écoute. » Roland Barthes), un mystère qu’il serait vain de réduire à une analyse des signes formels, fût-elle « méthodique » (cf. métrique et prosodie : la versification, p. 372). ..

Un poème ne se réduit pas comme une équation mathématique…


« L'art ne reproduit pas le visible, il rend visible », Paul Klee


Thèmes associés : la liberté et l’exotisme, l’évasion, le voyage intérieur ou extérieur ? (cf. le symbolisme de « L’Invitation au voyage » ) ; Lautoportrait du poète : « L’Albatros ».


Baudelaire, Les Fleurs du Mal (1857 – 1861 – 1868)

Dans l'un de ses projets de préface pour les Fleurs du Mal, Baudelaire écrit : " Il m'a paru plaisant, et d'autant plus agréable que la tâche était plus difficile, d'extraire "la beauté" du Mal" *

cf. « une souffrance positive » ? « Le Confiteor de l'Artiste »




« C'est la contradiction qui donne la vie en littérature », Illusions perdues, Balzac


« Correspondances », Spleen et Idéal, IV, Les Fleurs du Mal, 1857 (sonnet) ; « L’Albatros » ; « Elévation », III ; « Les Phares », VI ; « La vie antérieure », XII ; « La Beauté », XVII ; « L’Idéal », XVIII ; « La Chevelure », XXIII ; « Harmonie du soir », XLVII ; « Le Flacon », XLVIII ; « L’Invitation au voyage », LIII ; « Moesta et errabunda », LXII ; « Spleen », LXXVIII ;